MÉMOIRE DE LA FÉDÉRATION CANADIENNE
DES ÉTUDIANTES ET ÉTUDIANTS – CAUCUS NATIONAL DES 2E ET 3E CYCLES

RÉSUMÉ

Le financement des études de deuxième et de troisième cycles permet au gouvernement d’investir directement dans les gens, dans l’économie et dans la société, d’accroître le nombre de citoyens bien formés, qualifiés et innovateurs, et d’acquérir la capacité cognitive nécessaire pour s’attaquer aux problèmes économiques et sociaux dans l’avenir. Les étudiants, l’industrie et l’économie en général profitent tous d’un financement accru de la recherche dans les universités publiques du Canada. Les détenteurs de grades de deuxième et de troisième cycles sont beaucoup plus susceptibles d’atteindre les tranches d’imposition supérieures et de devenir ceux et celles qui financeront les services sociaux futurs tels que l’éducation postsecondaire.

Les étudiants des cycles supérieurs, actuels et futurs, sont actuellement aux prises avec des obstacles tels que des options de financement limitées, en environnement de recherche de plus en plus commercialisé et restrictif, des frais de scolarité en hausse et de lourds niveaux d’endettement étudiant.

Avant le budget de 2009, certaines améliorations avaient été apportées au financement de la recherche pour les conseils subventionnaires. Toutefois les compressions de 2009 et les augmentations dérisoires de 2010 ont interrompu la croissance qui est nécessaire pour que le Canada demeure concurrentiel sur le plan international. De plus, le financement de la recherche universitaire n’a pas suivi le rythme de la croissance du nombre d’inscriptions aux cycles supérieurs.

Les derniers budgets fédéraux ont dirigé la plus grande partie du financement de la recherche vers les priorités à court terme du secteur privé, limitant ainsi la capacité d’innovation à long terme. Le budget de 2009 a accordé des crédits au Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) pour le Programme de bourses d’études supérieures du Canada (BESC), mais a demandé qu’ils soient réservés aux études « liées aux affaires ». Cette façon de déterminer quelles doivent être les priorités de la recherche sape l’indépendance et les normes d’examen par les pairs du CRSH. Ce type de politique à courte vue celle-ci empêche le Canada de tirer pleinement avantage des chercheurs de renommée internationale

Première recommandation

Accroître de 20 pour cent les budgets des conseils subventionnaires destinés à la recherche fondamentale afin de soutenir l’innovation à long terme et la recherche menée par les étudiants des grades supérieurs.

Deuxième recommandation

Accroître le financement directement destiné aux étudiants des cycles supérieurs en accroissant le financement versé au Programme de BESC de 75 millions de dollars sur trois ans, reflétant ainsi la croissance moyenne du programme depuis 2003. Ce financement serait réparti de manière proportionnelle entre les conseils de recherches, en fonction du nombre d’inscriptions.

Troisième recommandation

Le gouvernement fédéral devrait, avec le concours des provinces, instaurer une Loi fédérale sur lenseignement postsecondaire modelée sur les principes de la Loi canadienne sur la santé, accompagnée d’un transfert en espèces afin de retrouver le niveau de financement fédéral de l’enseignement postsecondaire de 1992.

INTRODUCTION

Depuis la fin des années 1990, plusieurs mesures ont été prises pour transformer l’infrastructure des universités publiques dans le but de répondre aux objectifs du gouvernement consistant à accroître le nombre d’initiatives de commercialisation axées sur le marché, notamment en exigeant que les auteurs de projets de recherche financés à même les fonds publics sollicitent un investissement commercial direct. L’incitation à la commercialisation de la recherche des universités publiques n’est pas sans conséquence. Elle influe sur les structures décisionnelles des universités, mais aussi sur l’orientation et la l’exactitude de la publication des résultats de recherche. L’utilisation de ressources fiscales pour subventionner et orienter les initiatives de commercialisation de la recherche universitaire a un effet négatif sur les investissements du secteur privé dans la recherche et le développement (R-D). En effet, les investissements gouvernementaux dans la commercialisation font que le secteur privé n’est plus incité à mener des activités de R-D. De plus, le recours aux étudiants des cycles supérieurs comme bassin de main-d’œuvre à bon marché a probablement miné les possibilités d’emploi de ces étudiants après l’obtention de leur diplôme et réduit la valeur d’un diplôme de cycle supérieur sur le marché du travail; l’obtention d’un tel diplôme devient un investissement moins rentable.

Au Canada, les études supérieures ont connu une expansion spectaculaire au cours des 10 dernières années, le nombre d’étudiants ayant augmenté de 46 pour cent entre 1998 et 2008 (figure 1). De plus, le nombre de Canadiens détenant un diplôme d’études supérieures (maîtrises et doctorats confondus) a augmenté de 28 pour cent entre 2004 et 2009[i]. Malgré la hausse des inscriptions aux cycles supérieurs, les crédits consentis aux conseils subventionnaires et les bourses qui rendent les études supérieures abordables et rentables n’ont augmenté que modestement. Le manque d’engagement dont témoigne la stratégie fédérale en matière de recherche et d’enseignement supérieur réduit à la fois la qualité de cet enseignement et le rendement de l’investissement des Canadiens dans la recherche universitaire. Or, investir dans les études supérieures a pour effet de rehausser le potentiel de revenu des particuliers, de stimuler l’innovation à long terme et de rendre le Canada plus concurrentiel à l’échelle internationale.

LE FINANCEMENT DES CONSEILS SUBVENTIONNAIRES

Les options offertes aux étudiants des cycles supérieurs en matière de bourses et de subventions sont limitées, ce qui les oblige à travailler pour s’autofinancer. Beaucoup se sont lourdement endettés pendant leurs études de premier cycle et s’endettent davantage lorsqu’ils poursuivent des études supérieures. Les étudiants des cycles supérieurs sont actuellement exclus du nouveau Programme canadien de subventions aux étudiants et n’ont qu’un accès limité aux subventions fondées sur le besoin. Les budgets de 2010 et de 2011 n’ont comporté guère de mesures pour combler cette lacune, alors même que pendant ce temps, la plupart des autres économies investissent davantage dans les études supérieures. À l’obtention du diplôme, ils doivent faire face aux incertitudes du marché du travail, de plus en plus caractérisé par des emplois à temps partiel ou contractuels. Selon une étude menée par Statistique Canada, les titulaires de doctorat peuvent espérer gagner 4 000 $ de plus par année que les titulaires de maîtrise, malgré le fait qu’ils étudient en moyenne plus longtemps[ii]. L’écart de salaire moyen des détenteurs de maître et des détenteurs de doctorat dans la population active n’est que de 7 pour cent[iii].

Figure 1 : Accroissement des inscriptions aux cycles supérieurs et financement des conseils subventionnaires pour les étudiants des deuxième et troisième cycles

Programmes de recherche fondamentale et appliquée

La pression du gouvernement pour la commercialisation de la recherche universitaire a des conséquences sur les structures décisionnelles des universités et aussi sur la publication des résultats de recherche.

La collectivité de la recherche considère que la recherche fondamentale est la pierre angulaire d’un programme de recherche national couronné de succès et qu’elle est nécessaire pour l’innovation à long terme. Le sous-financement par le gouvernement de la recherche fondamentale menée dans les universités nuit au potentiel d’innovation à long terme du Canada. Dans les récents budgets, les investissements dans la recherche universitaire publique ont profité de manière disproportionnée aux programmes de recherche appliquée, conçus en fonction d’objectifs commerciaux, plutôt qu’à la recherche fondamentale. Afin de combler ce déficit, il convient maintenant d’accroître la proportion des crédits de recherche consacrée à la recherche fondamentale.

L’accroissement déséquilibré des crédits fédéraux en faveur des programmes de recherche axés sur les produits de consommation et le marché amène les universités à dépendre de façon malsaine des entreprises pour la recherche et le développement de méthodes et de produits innovateurs. Cette subvention aux entreprises nuit à la R-D menée à l’interne et contribue au retard du Canada par rapport aux autres pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques pour ce qui est de l’innovation issue du secteur privé[iv]. Lorsque l’investissement dans la recherche et le développement passent du secteur privé au secteur universitaire, la recherche fondamentale et l’innovation à long terme en souffrent à long terme car les chercheurs se tournent vers des projets commerciaux mieux financés.

Subventions à la découverte

Un comité international ayant récemment étudié le Programme des subventions à la découverte du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG) a constaté que c’est l’un des programmes les plus efficaces de la planète pour générer de nouvelles connaissances. Il a conclu en disant que le Canada devrait accorder davantage de fonds aux programmes de recherche fondamentale s’il veut affronter les crises actuelles et être un chef de file mondial sur le plan de l’innovation.

Les étudiants des cycles supérieurs contribuent directement à la production de la quasi-totalité des articles ayant un impact important qui sont publiés au Canada. Toutefois, ces étudiants ont trop souvent le sentiment d’être étouffés par la courte vue et le conformisme des programmes de recherche axés sur la commercialisation. Les subventions fédérales à la découverte qui aident la recherche-curiosité sont un investissement stratégique dans les étudiants des cycles supérieurs. Le fait de recentrer nos efforts sur la recherche fondamentale nous permettra d’attirer les meilleurs étudiants des cycles supérieurs à l’échelle internationale et de conserver au Canada les étudiants canadiens les plus brillants.

Première recommandation

Accroître de 20 pour cent les budgets des conseils subventionnaires destinés à la recherche fondamentale afin de soutenir l’innovation à long terme et la recherche menée par les étudiants des grades supérieurs.

FINANCEMENT DES ÉTUDIANTS DES CYCLES SUPÉRIEURS

Les universités offrent souvent des emplois à titre de « financement », mais ceux-ci ne font guère plus que transformer les étudiants en main-d’œuvre à bon marché pour les universités et leurs partenaires du secteur privé. En occupant ces postes, les étudiants des cycles supérieurs fournissent un appui important à la recherche et à l’enseignement mais sans se voir offrir les garanties et les avantages accordés aux employés à temps plein ou aux chercheurs. Certes, cela leur permet d’acquérir une certaine expérience en enseignement et en recherche, mais au prix d’un ralentissement de la progression de leurs études en réduisant le temps consacré à la recherche et à la publication, deux exigences importantes pour obtenir un poste en recherche dans un marché du travail compétitif.

Le Programme de BESC a été instauré en 2003 afin d’assurer l’accès à un financement direct aux étudiants des cycles supérieurs et de compenser ainsi le manque de financement disponible aux nombres grandissants de diplômés. Depuis 2003, le Programme de BESC s’est accru d’environ 25 millions de dollars par année, ce qui suffit à assurer une aide financière à seulement 3 pour cent des étudiants des cycles supérieurs.

Depuis 2006, les budgets fédéraux n’ont fourni que très peu de financement direct pour les étudiants des cycles supérieurs. Le fait que les bourses aient été exonérées d’impôt dans le budget de 2006 n’améliorera la situation financière que d’un petit nombre d’étudiants des cycles supérieurs. En outre, ceux-ci ne sont pas admissibles aux subventions fondées sur le besoin dans le cadre du Programme canadien de subventions aux étudiants, ce qui limite encore plus leurs options de financement.

Le déséquilibre de la répartition du financement du Programme de BESC a commencé lors du budget de 2008 et s’est poursuivi avec le budget de 2009, dans lequel la répartition était fondée sur les priorités de l’industrie et non sur le nombre d’étudiants inscrits. L’augmentation de 88 millions de dollars sur trois ans établie dans le budget de 2009 ne prévoyait que 17 millions seulement pour les étudiants en sciences humaines. De plus, l’augmentation du nombre de BESC accordées par le CRSH en vertu du budget de 2009 était réservée aux études « liées aux affaires ». En ciblant ainsi les bourses, on excluait plus de 90 pour cent des étudiants admissibles à des bourses du CRSH et on portait atteinte à l’indépendance du processus d’évaluation par les pairs. Aucune mention spécifique sur le financement direct réservé aux étudiants des cycles supérieurs ne figure au budget de 2011.

Deuxième recommandation

Accroître le financement directement destiné aux étudiants des cycles supérieurs en accroissant le financement versé au Programme de bourses d’études supérieures du Canada de 75 millions de dollars sur trois ans, reflétant ainsi la croissance moyenne du programme depuis 2003. Ce financement serait réparti de manière proportionnelle entre les conseils de recherches, en fonction du nombre d’inscriptions.

LOI SUR L’ENSEIGNEMENT POSTSECONDAIRE

L’investissement du gouvernement est essentiel si nous voulons un système d’enseignement postsecondaire qui fonctionne bien. Des frais de scolarité élevés et des sources de financement limitées obligent les étudiants à assumer un lourd fardeau financier au moment où ils sont le moins aptes à le faire. L’endettement résultant des études de premier cycle, le niveau élevé des frais initiaux tels que les frais de scolarité et le coût des documents de recherche limitent l’accès aux études supérieures. Un système plus efficient et exerçant moins de pression sur la santé à long terme de l’économie devrait financer l’enseignement postsecondaire recevant un financement public par le biais d’un régime fiscal progressif de l’État.

Le meilleur moyen pour le gouvernement fédéral d’investir dans l’enseignement postsecondaire est d’accorder aux provinces un transfert en espèces expressément à cette fin dans le cadre d’une loi fédérale sur l’enseignement postsecondaire. Ce transfert serait assorti de conditions que les provinces devraient respecter pour recevoir le financement. Cette loi serait fondée sur des principes similaires à ceux de la Loi canadienne sur la santé : administration publique, accessibilité, exhaustivité, transférabilité et mobilité. À condition de respecter ces principes, les gouvernements provinciaux recevraient du fédéral des budgets accrus et prévisibles. Un tel transfert assurerait au financement de l’enseignement supérieur la stabilité nécessaire pour améliorer l’accès et l’infrastructure des universités et collèges au Canada.

Troisième recommandation

Le gouvernement fédéral devrait, avec le concours des provinces, instaurer une Loi fédérale sur lenseignement postsecondaire modelée sur les principes de la Loi canadienne sur la santé et accompagnée d’un transfert en espèces de 1,3 milliard de dollars afin de restaurer le niveau de financement fédéral de l’enseignement postsecondaire de 1992.

CONCLUSION

L’orientation du gouvernement fédéral vers la commercialisation de la recherche financée par à même les fonds publics a exacerbé le déséquilibre de la recherche au Canada. Bien que de petites augmentations aient été consenties au financement de la recherche par les conseils subventionnaires ces dernières années, ceux-ci ne se sont jamais pleinement remis des compressions budgétaires des années 1990 et leur financement n’a pas augmenté proportionnellement à la hausse du nombre d’étudiants des cycles supérieurs. Dans son budget de 2009, le gouvernement fédéral a réduit de 148 millions de dollars les crédits des conseils subventionnaires, à un moment où la plupart des autres pays investissent beaucoup dans la capacité de recherche de du secteur de l’enseignement postsecondaire. Les augmentations des BESC prévues au budget n’ont pas suivi le rythme des investissements de stimulation passés et sont dirigées par le gouvernement plutôt qu’en fonction de processus indépendants d’examen par les pairs. Comme les nouveaux crédits sont destinés à des projets d’une gamme étroite de domaines commerciaux, le fossé continue de se creuser entre la recherche commercialisée et la recherche fondamentale.

Le système universitaire canadien d’évaluation du financement de la recherche fondamentale par les pairs est l’un des meilleurs de la planète. Toutefois, le financement des subventions destinées à la recherche fondamentale dans le domaine des sciences sociales et humaines est largement inférieur à celui des sciences appliquées. Cela entrave l’aptitude du Canada à produire la recherche nécessaire pour formuler des propositions de politiques publiques visant à relever les défis sociaux, économiques, stratégiques et politiques de demain. Les sciences sociales et humaines nous permettent de mieux comprendre les interactions sociales complexes et d’éclairer la formulation et le choix des politiques publiques appliquées dans le monde. En l’absence d’un financement et d’un soutien appropriés des étudiants des cycles supérieurs, la capacité de recherche et d’innovation du Canada continuera de prendre du retard par rapport à celles des autres pays. Investir dans les études supérieures nous aidera par contre à produire le nombre de travailleurs hautement qualifiés dont nous aurons besoin pour comprendre les défis économiques, politiques et sociaux d’aujourd’hui et de demain et pour y réagir.

SOURCES


[i]       Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie. Tableaux détaillés. http://www.nserc-crsng.gc.ca/NSERC-CRSNG/FactsFigures-TableauxDetailles_fra.asp

[ii]      Association canadienne pour les études supérieures : 38e rapport statistique (1992-2006).

[iii]     Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie. Rapport du comité d’examen international du programme de subventions à la découverte.

[iv]     Tuomas Takalo, Tuomas et Vesa Kanniainen, « Do patents slow down technological progress? Real options in research, patenting, and market introduction », International Journal of Industrial Organization, 18 (2000) 1105-1127. 5.OCDE, collection de données 2010 OCDE/Système d’information de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement /Eurostat sur les carrières des détenteurs de doctorat.

6.     Canadian Association for Graduate Studies (CAGS) A Profile of Master’s Degree Education in Canada. Décembre 2006 (non traduit) 28.

7.     Association des universités et collèges du Canada. La valeur d’un diplôme universitaire sur le marché de travail canadien, http://www.aucc.ca/publications/auccpubs/value-of-a-degree/docs/valeur-dun-diplome-sur-le-marche-du-travail-canadien.pdf.